Page:Hugo - William Shakespeare, 1864.djvu/84

Cette page n’a pas encore été corrigée

§ VII

L’autre, Juvénal, a tout ce qui manque à Lucrèce, la passion, l’émotion, la fièvre, la flamme tragique, l’emportement vers l’honnêteté, le rire vengeur, la personnalité, l’humanité. Il habite un point donné de la création, et il s’en contente, y trouvant de quoi nourrir et gonfler son cœur de justice et de colère. Lucrèce est l’univers, Juvénal est le lieu. Et quel lieu ! Rome. A eux deux ils ont la double voix qui parle à la terre et à la ville. Urbi et orbi. Juvénal a au-dessus de l’empire romain l’énorme battement d’ailes du gypaëte au-dessus du nid de reptiles. Il fond sur ce fourmillement et les prend tous l’un après l’autre dans son bec terrible, depuis la couleuvre qui est empereur et s’appelle Néron, jusqu’au ver de terre qui est mauvais poëte et s’appelle Codrus. Isaïe et Juvénal ont chacun leur prostituée ; mais il y a quelque chose de plus sinistre que l’ombre de Babel, c’est le craquement du lit des Césars, et Babylone est moins formidable que Messaline. Juvénal, c’est la vieille âme fibre des républiques mortes ; il a en lui une Rome