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Être le grand serviteur, certes, cela n’ôte rien au poëte. Parce que, dans l’occasion et pour le devoir, il aura poussé le cri d’un peuple, parce qu’il a, quand il le faut, dans la poitrine le sanglot de l’humanité, toutes les voix du mystère n’en chantent pas moins en lui. Parler si haut, cela ne l’empêche point de parler bas. Il n’en est pas moins le confident, et quelquefois le confesseur, des cœurs. Il n ?en est pas moins en tiers avec ceux qui aiment, avec ceux qui songent, avec ceux qui soupirent, passant sa tête dans l’ombre entre deux têtes d’amoureux. Les vers d’amour d’André Chénier avoisinent sans désordre et sans trouble l’ïambe courroucé : « Toi, vertu, pleure si je meurs ! » Le poëte est le seul être vivant auquel il soit donné de tonner et de chuchoter, ayant en lui, comme la nature, le grondement du nuage et le frémissement de la feuille. Il vient pour une double fonction, une fonction individuelle et une fonction publique, et c’est à cause de cela qu’il lui faut, pour ainsi dire, deux âmes.

Ennius disait : J’en ai trois. Une âme osque, une âme grecque et une âme latine. Il est vrai qu’il ne faisait allusion qu’au lieu de sa naissance, au lieu de son éducation et au lieu de son action civique, et d’ailleurs Ennius n’était qu’une ébauche de poëte, vaste mais informe".