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émues jettent dehors leur feu intérieur, tous les yeux éclairent, la grosse bête à mille têtes est là, la Mob de Burke, la Plebs de Tite-Live, la Fex urbis de Cicéron, elle caresse le beau, elle lui sourit avec la grâce d’une femme, elle est très-finement littéraire ; rien n’égale les délicatesses de ce monstre. La cohue tremble, rougit, palpite ; ses pudeurs sont inouïes ; la foule est une vierge. Aucune pruderie pourtant, cette bête n’est pas bête. Pas une sympathie ne lui manque ; elle a en elle tout le clavier, depuis la passion jusqu’à l’ironie, depuis le sarcasme jusqu’au sanglot. Sa pitié est plus que de la pitié ; c’est de la miséricorde. On y sent Dieu. Tout à coup le sublime passe, et la sombre électricité de l’abîme soulève subitement tout ce tas de cœurs et d’entrailles, la transfiguration de l’enthousiasme opère, et maintenant, l’ennemi est-il aux portes, la patrie est-elle en danger ? Jetez un cri à cette populace, elle est capable des Thermopyles. Qui a fait cette métamorphose ? la poésie.

Les multitudes, et c’est là leur beauté, sont profondément pénétrables à l’idéal. L’approche du grand art leur plaît, elles en frissonnent. Pas un détail ne leur échappe. La foule est une étendue liquide et vivante offerte au frémissement. Une masse est une sensitive. Le contact