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que le fait soit encore. La distance actuelle du réel à l’idéal ne peut être mesurée autrement. D’ailleurs traîner un peu le boulet complète Vincent de Paul. Hardi donc à la promiscuité triviale, à la métaphore populaire, à la grande vie en commun avec ces exilés de la joie qu’on nomme les pauvres ! le premier devoir des poëtes est là. Il est utile, il est nécessaire que le souffle du peuple traverse ces toutes-puissantes âmes. Le peuple a quelque chose à leur dire. Il est bon qu’on sente dans Euripide les marchandes d’herbes d’Athènes et dans Shakespeare les matelots de Londres.

Sacrifie à « la canaille », ô poëte ! sacrifie à cette infortunée, à cette déshéritée, à cette vaincue, à cette vagabonde, à cette va-nu-pieds, à cette affamée, à cette répudiée, à cette désespérée, sacrifie-lui, s’il le faut et quand il le faut, ton repos, ta fortune, ta joie, ta patrie, ta liberté, ta vie. La canaille, c’est le genre humain dans la misère. La canaille, c’est le commencement douloureux du peuple. La canaille, c’est la grande victime des ténèbres. Sacrifie-lui ! sacrifie-toi ! laisse-toi chasser, laisse-toi exiler comme Voltaire à Ferney, comme d’Aubigné à Genève, comme Dante à Vérone, comme Juvénal à Syène, comme Tacite à Méthymne, comme Eschyle à Gela, comme Jean à Pathmos, comme Élie à