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qu’il chante dans les siècles, chanson de guerre, chanson à boire, chanson d’amour, qui va du roi Lear à la reine Mab, et de Hamlet à Falstaff, navrante parfois comme un sanglot, grande comme l’Iliade ! — J’ai la courbature d’avoir lu Shakespeare, disait M. Auger.

Sa poésie a le parfum acre du miel fait en vagabondage par l’abeille sans ruche. Ici la prose, là le vers ; toutes les formes, n’étant que des vases quelconques pour l’idée, lui conviennent. Cette poésie se lamente et raille. L’anglais, langue peu faite, tantôt lui sert, tantôt lui nuit, mais partout la profonde âme perce et transparaît. Le drame de Shakespeare marche avec une sorte de rhythme éperdu ; il est si vaste qu’il chancelle ; il a et donne le vertige ; mais rien n’est solide comme cette grandeur émue. Shakespeare, frissonnant, a en lui les vents, les esprits, les philtres, les vibrations, les balancements des souffles qui passent, l’obscure pénétration des effluves, la grande sève inconnue. De là son trouble, au fond duquel est le calme. C’est ce trouble qui manque à Goethe, loué à tort pour son impassibilité, qui est infériorité. Ce trouble, tous les esprits du premier ordre l’ont. Ce trouble est dans Job, dans Eschyle, dans Alighieri. Ce trouble, c’est l’humanité. Sur la terre, il faut que le divin soit humain. Il