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philosophe ou de tel poëte, faisaient tout à coup défaut. Une page se déchirait brusquement dans le livre humain. Pour déshériter l’humanité de tous les grands testaments des génies, il suffisait d’une sottise de copiste ou d’un caprice de tyran. Nul danger de ce genre à présent. Désormais l’insaisissable règne. Rien ni personne ne saurait appréhender la pensée au corps. Elle n’a plus de corps. Le manuscrit était le corps du chef-d’œuvre. Le manuscrit était périssable, et emportait avec lui l’âme, l’œuvre. L’œuvre, faite feuille d’imprimerie, est délivrée. Elle n’est plus qu’âme. Tuez maintenant cette immortelle ! Grâce à Gutenberg, l’exemplaire n’est plus épuisable. Tout exemplaire est germe, et a en lui sa propre renaissance possible à des milliers d’éditions ; l’unité est grosse de l’innombrable. Ce prodige a sauvé l’intelligence universelle. Gutenberg, au quinzième siècle, sort de l’obscurité terrible, ramenant des ténèbres ce captif racheté, l’esprit humain. Gutenberg est à jamais l’auxiliaire de la vie ; il est le collaborateur permanent de la civilisation en travail. Rien ne se fait sans lui. Il a marqué la transition de l’homme esclave à l’homme libre. Essayez de l’ôter de la civilisation, vous devenez Égypte. La seule décroissance de la liberté de la presse diminue la stature d’un peuple.