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formation superbe. Œuvre des siècles, sans doute, mais des hommes aussi. Ce magnanime exemple, c’est ce microscopique archipel qui le donne. Ces espèces de petites nations-là font la preuve de la civilisation. Aimons-les, et vénérons-les. Ces microcosmes reflètent en petit, dans toutes ses phases, la grande formation humaine. Jersey, Guernesey, Aurigny ; anciens repaires, ateliers à présent. Anciens écueils, ports maintenant.

Pour l’observateur de cette série d’avatars qu’on appelle l’histoire, pas de spectacle plus émouvant que de voir lentement et par degrés monter et surgir au soleil de la civilisation ce peuple nocturne de la mer. L’homme des ténèbres se retourne et fait face à l’aurore. Rien n’est plus grand, rien n’est plus pathétique. Jadis forban, aujourd’hui ouvrier ; jadis sauvage, aujourd’hui citoyen ; jadis loup, aujourd’hui homme. A-t-il moins d’audace qu’autrefois ? Non. Seulement cette audace va à la lumière. Quelle splendide différence entre la navigation actuelle, côtière, riveraine, marchande, honnête, fraternelle, et le vieux dromon informe ayant pour devise : Homo homini monstrum ! Le barrage s’est fait pont. L’obstacle est devenu l’aide. Là où ce peuple a été pirate, il est pilote. Et il est plus entreprenant et plus hardi que jamais. Ce pays est resté le pays de l’aventure en devenant le pays de la probité. Plus le point de départ a été infime, plus on est attendri de l’ascension. La fiente du nid sur la coquille de l’œuf fait admirer l’envergure de l’oiseau. C’est en bonne part qu’on pense aujourd’hui à l’ancienne piraterie de l’archipel normand. En présence de toutes ces voiles charmantes et sereines triomphalement guidées à tra-