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adjudication. Les habitants vendent l’île en détail. Le curieux rocher la Roque-au-Diable a été dernièrement brocanté pour quelques livres sterling ; la vaste carrière de la Ville-Baudue épuisée, on passera à une autre.

Toute l’Angleterre demande de cette pierre. Rien que pour la digue construite sur la Tamise, il en faudra deux cent mille tonnes. Les personnes loyales qui tiennent à la solidité des statues royales ont fort regretté que le piédestal du bronze Albert, qui est en granit de Cheesering, n’ait pas été fait en bonne roche de Guernesey. Quoi qu’il en soit, les côtes de Guernesey tombent sous la pioche. En quatre ans, à Saint-Pierre-Port, sous les fenêtres des habitants de la Falue, une montagne a disparu.

Et cela se fait en Amérique comme en Europe. À l’heure qu’il est, Valparaiso est en train de vendre à l’enchère aux équarrisseurs les collines magnifiques et vénérables qui l’avaient fait surnommer Vallée-Paradis.

Les anciens guernesiais ne reconnaissent plus leur île. Ils seraient tentés de dire : on m’a changé mon lieu natal. Wellington le disait de Waterloo, qui était son lieu natal à lui. Ajoutez à cela que Guernesey, qui jadis parlait français, parle aujourd’hui anglais ; autre démolition.

Jusque vers 1805, Guernesey a été coupée en deux îles. Un fleuve de mer la traversait de part en part, du mont Crevel de l’est au mont Crevel de l’ouest. Ce bras de mer débouchait à l’occident vis-à-vis les Fresquiers et les deux Sauts-Roquiers ; il avait des baies entrant assez avant dans les terres, une allait jusqu’à Salterns ; on nommait ce bras de mer la Braye du Valle. Saint-Sampson, au siècle dernier,