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Les français hors de France vont volontiers faire leur temps dans cet archipel de la Manche ; ils promènent dans ces rochers leur rêverie d’hommes qui attendent ; ce choix s’explique par le charme d’y retrouver l’idiome natal. Le marquis de Rivière, le même à qui Charles X disait : À propos, j’ai oublié de te dire que je t’avais fait duc, pleurait devant les pommiers de Jersey et préférait le Pier’road de Saint-Hélier à l’Oxford street de Londres. C’est dans ce Pier’road que logeait le duc d’Anville, qui était Rohan et La Rochefoucauld. Un jour, M. d’Anville, qui avait un vieux basset de chasse, eut à consulter pour sa santé un médecin de Saint-Hélier qu’il trouva bon aussi pour son chien. Il demanda au médecin jersiais une ordonnance pour son basset. Le chien n’était pas même malade, et c’était une gaîté de grand seigneur. Le docteur donna son avis. Le lendemain, le duc reçut du docteur une note ainsi conçue :

« Deux consultations ;

« 1o Pour M. le duc, un louis.

« 2o Pour son chien, dix louis. »

Ces îles ont été des lieux d’abri de la destinée ; toutes les formes de la fatalité les ont traversées, depuis Charles II sortant de Cromwell jusqu’au duc de Berry, allant à Louvel. Il y a deux mille ans, César, promis à Brutus, y était venu. À dater du dix-septième siècle, ces îles ont été fraternelles au monde entier ; l’hospitalité est leur gloire, Elles ont l’impartialité de l’asile. Royalistes, elles accueillent la république vaincue ; huguenotes, elles admettent le catholicisme émigré. Elles lui font même cette politesse, nous l’avons dit, de haïr autant que lui Voltaire. Et comme, selon beau-