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IMPRUDENCE DE FAIRE DES QUESTIONS

On était unanime pour admirer Clubin, et, du reste, unanime aussi pour le croire, après tout, sauvé. Le coutre Shealtiel était arrivé quelques heures après le Cashmere ; c’était ce coutre qui apportait les derniers renseignements. Il venait de passer vingt-quatre heures dans les mêmes eaux que la Durande. Il y avait patienté pendant le brouillard et louvoyé pendant la tempête. Le patron du Shealtiel était présent parmi les assistants.

À l’instant où Gilliatt était entré, ce patron venait de faire son récit à mess Lethierry. Ce récit était un vrai rapport. Vers le matin, la bourrasque étant finie et le vent devenant maniable, le patron du Shealtiel avait entendu des beuglements en pleine mer. Ce bruit de prairies au milieu des vagues l’avait surpris ; il s’était dirigé de ce côté. Il avait aperçu la Durande dans les rochers Douvres. L’accalmie était suffisante pour qu’il pût approcher. Il avait hélé l’épave. Le mugissement des bœufs qui se noyaient dans la cale avait seul répondu. Le patron du Shealtiel était certain qu’il n’y avait personne à bord de la Durande. L’épave était parfaitement tenable ; et, si violente qu’eût été la bourrasque, Clubin eût pu y passer la nuit. Il n’était pas homme à lâcher prise aisément. Il n’y était point, donc il était sauvé. Plusieurs sloops et plusieurs lougres, de Granville et de Saint-Malo, se dégageant du brouillard, avaient dû, la veille au soir, ceci était hors de doute, côtoyer d’assez près l’écueil Douvres. Un d’eux avait évidemment recueilli le capitaine Clubin. Il faut se souvenir que la chaloupe de la Durande était pleine en quittant le navire échoué, qu’elle allait courir beaucoup de risques, qu’un