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LE TIMONIER IVRE ET LE CAPITAINE SOBRE

bonne renommée met en appétit de honte. On dédaigne tant les hommes qu’on voudrait en être méprisé. Il y a de l’ennui à être estimé. On admire les coudées franches de la dégradation. On regarde avec convoitise la turpitude, si à l’aise dans l’ignominie. Les yeux baissés de force ont souvent de ces échappées obliques. Rien n’est plus près de Messaline que Marie Alacoque. Voyez la Cadière et la religieuse de Louviers. Clubin, lui aussi, avait vécu sous le voile. L’effronterie avait toujours été son ambition. Il enviait la fille publique et le front de bronze de l’opprobre accepté ; il se sentait plus fille publique qu’elle, et avait le dégoût de passer pour vierge. Il avait été le Tantale du cynisme. Enfin, sur ce rocher, dans cette solitude, il pouvait être franc ; il l’était. Se sentir sincèrement abominable, quelle volupté ! Toutes les extases possibles à l’enfer, Clubin les eut dans cette minute ; les arrérages de la dissimulation lui furent soldés ; l’hypocrisie est une avance ; Satan le remboursa. Clubin se donna l’ivresse d’être effronté, les hommes ayant disparu, et n’ayant plus là que le ciel. Il se dit : Je suis un gueux ! Et fut content.

Jamais rien de pareil ne s’était passé dans une conscience humaine.

L’éruption d’un hypocrite, nulle ouverture de cratère n’est comparable à cela.

Il était charmé qu’il n’y eût là personne, et il n’eût pas été fâché qu’il y eût quelqu’un. Il eût joui d’être effroyable devant témoin.

Il eût été heureux de dire en face au genre humain : Tu es idiot !