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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

l’effet d’une chose qui se détraque. J’ai dans l’idée que le bon Dieu n’y est pas.

Le malouin se gratta le haut de la tête comme quelqu’un qui cherche à comprendre. Le parisien continua :

— Le bon Dieu est absent. On devrait rendre un décret pour forcer Dieu à résidence. Il est à sa maison de campagne et ne s’occupe pas de nous. Aussi tout va de guingois. Il est évident, mon cher monsieur, que le bon Dieu n’est plus dans le gouvernement, qu’il est en vacances, et que c’est le vicaire, quelque ange séminariste, quelque crétin avec des ailes de moineau, qui mène les affaires.

Moineau fut articulé moigneau, prononciation de gamin faubourien.

Le capitaine Clubin, qui s’était approché des deux causeurs, posa sa main sur l’épaule du parisien.

— Chut ! Dit-il. Monsieur, prenez garde à vos paroles. Nous sommes en mer.

Personne ne dit plus mot.

Au bout de cinq minutes, le guernesiais, qui avait tout entendu, murmura à l’oreille du malouin :

— Et un capitaine religieux !

Il ne pleuvait pas, et l’on se sentait mouillé. On ne se rendait compte du chemin qu’on faisait que par une augmentation de malaise. Il semblait qu’on entrât dans de la tristesse. Le brouillard fait le silence sur l’océan ; il assoupit la vague et étouffe le vent. Dans ce silence, le râle de la Durande avait on ne sait quoi d’inquiet et de plaintif.

On ne rencontrait plus de navires. Si, au loin, soit du côté de Guernesey, soit du côté de Saint-Malo, quelques