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LE TIMONIER IVRE ET LE CAPITAINE SOBRE

Vers deux heures, la brume était si épaisse que le capitaine dut quitter la passerelle et se rapprocher du timonier. Le soleil s’était évanoui, tout était brouillard. Il y avait sur la Durande une sorte d’obscurité blanche. On naviguait dans de la pâleur diffuse. On ne voyait plus le ciel et on ne voyait plus la mer.

Il n’y avait plus de vent.

Le bidon à térébenthine suspendu à un anneau sous la passerelle des tambours n’avait pas même une oscillation.

Les passagers étaient devenus silencieux.

Toutefois le parisien, entre ses dents, fredonnait la chanson de Béranger Un jour le bon Dieu s’éveillant.

Un des malouins lui adressa la parole.

— Monsieur vient de Paris ?

— Oui, monsieur. Il mit la tête à la fenêtre.

— Qu’est-ce qu’on fait à Paris ?

Leur planète a péri peut-être. — Monsieur, à Paris tout marche de travers.

— Alors c’est sur terre comme sur mer.

— C’est vrai que nous avons là un fichu brouillard.

— Et qui peut faire des malheurs.

Le parisien s’écria :

— Mais pourquoi ça, des malheurs ! à propos de quoi, des malheurs ! à quoi ça sert-il, des malheurs ! C’est comme l’incendie de l’Odéon. Voilà des familles sur la paille. Est-ce que c’est juste ? Tenez, monsieur, je ne connais pas votre religion, mais moi je ne suis pas content.

— Ni moi, fit le malouin.

— Tout ce qui se passe ici-bas, reprit le parisien, fait