Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome I (1891).djvu/346

Cette page a été validée par deux contributeurs.
340
LES TRAVAILLEURS DE LA MER

la direction et l’on mit franchement le cap sur Guernesey. Ce ne fut qu’un peu de temps perdu. Dans les jours courts le temps perdu a ses inconvénients. Il faisait un beau soleil de février.

Tangrouille, dans l’état où il était, n’avait plus le pied très sûr ni le bras très ferme. Il en résultait que le brave timonier embardait souvent, ce qui ralentissait la marche.

Le vent était à peu près tombé.

Le passager guernesiais, qui tenait à la main une longue-vue, la braquait de temps en temps sur un petit flocon de brume grisâtre lentement charrié par le vent à l’extrême horizon à l’ouest, et qui ressemblait à une ouate où il y aurait de la poussière.

Le capitaine Clubin avait son austère mine puritaine ordinaire. Il paraissait redoubler d’attention.

Tout était paisible et presque riant à bord de la Durande. Les passagers causaient. En fermant les yeux dans une traversée, on peut juger de l’état de la mer par le tremolo des conversations. La pleine liberté d’esprit des passagers répond à la parfaite tranquillité de l’eau.

Il est impossible, par exemple, qu’une conversation telle que celle-ci ait lieu autrement que par une mer très calme :

— Monsieur, voyez donc cette jolie mouche verte et rouge.

— Elle s’est égarée en mer et se repose sur le navire.

— Une mouche se fatigue peu.

— Au fait, c’est si léger. Le vent la porte.

— Monsieur, on a pesé une once de mouches, puis on