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LE REVOLVER

vait sur ces pieds ; dans les nuits d’hiver, il neigeait sur ces corps.

Qu’était-ce que ces êtres ? Les inconnus. Ils venaient là le soir et s’en allaient le matin. L’ordre social se complique de ces larves. Quelques-uns se glissaient pour une nuit et ne payaient pas. La plupart n’avaient point mangé de la journée. Tous les vices, toutes les abjections, toutes les infections, toutes les détresses ; le même sommeil d’accablement sur le même lit de boue. Les rêves de toutes ces âmes faisaient bon voisinage. Rendez-vous funèbre où remuaient et s’amalgamaient dans le même miasme les lassitudes, les défaillances, les ivresses cuvées, les marches et contre-marches d’une journée sans un morceau de pain et sans une bonne pensée, les lividités à paupières closes, des remords, des convoitises, des chevelures mêlées de balayures, des visages qui ont le regard de la mort, peut-être des baisers de bouches de ténèbres. Cette putridité humaine fermentait dans cette cuve. Ils étaient jetés dans ce gîte par la fatalité, par le voyage, par le navire arrivé la veille, par une sortie de prison, par la chance, par la nuit. Chaque jour la destinée vidait là sa hotte. Entrait qui voulait, dormait qui pouvait, parlait qui osait. Car c’était un lieu de chuchotement. On se hâtait de se mêler. On tâchait de s’oublier dans le sommeil, puisqu’on ne peut se perdre dans l’ombre. On prenait de la mort ce qu’on pouvait. Ils fermaient les yeux dans cette agonie pêle-mêle recommençant tous les soirs. D’où sortaient-ils ? De la société, étant la misère ; de la vague, étant l’écume.

N’avait point de la paille qui voulait. Plus d’une nudité