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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

Au milieu de cette cour, on apercevait un trou rond, entouré d’une marge de pierre au niveau du sol. C’était un puits. La cour était petite, le puits était grand. Un pavage défoncé encadrait la margelle.

La cour, carrée, était bâtie de trois côtés. Du côté de la rue, rien ; mais en face de la porte, et à droite et à gauche, il y avait du logis.

Si, après la nuit tombée, on entrait là, un peu à ses risques et périls, on entendait comme un bruit d’haleines mêlées, et, s’il y avait assez de lune ou d’étoiles pour donner forme aux linéaments obscurs qu’on avait sous les yeux, voici ce qu’on voyait.

La cour. Le puits. Autour de la cour, vis-à-vis la porte, un hangar figurant une sorte de fer à cheval qui serait carré, galerie vermoulue, tout ouverte, à plafond de solives, soutenue par des piliers de pierre inégalement espacés ; au centre, le puits ; autour du puits, sur une litière de paille, et faisant comme un chapelet circulaire, des semelles droites, des dessous de bottes éculées, des orteils passant par des trous de souliers, et force talons nus, des pieds d’homme, des pieds de femme, des pieds d’enfant. Tous ces pieds dormaient.

Au delà de ces pieds, l’œil, en s’enfonçant dans la pénombre du hangar, distinguait des corps, des formes, des têtes assoupies, des allongements inertes, des guenilles des deux sexes, une promiscuité dans du fumier, on ne sait quel sinistre gisement humain. Cette chambre à coucher était à tout le monde. On y payait deux sous par semaine. Les pieds touchaient le puits. Dans les nuits d’orage, il pleu-