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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

Ajoutons que, si cette masure était, comme on le dit, commode aux fraudeurs, leurs rendez-vous devaient avoir là jusqu’à un certain point leurs coudées franches, précisément parce que la maison était mal vue. Être mal vue l’empêchait d’être dénoncée. Ce n’est guère aux douaniers et aux sergents qu’on s’adresse contre les spectres. Les superstitieux font des signes de croix et non des procès-verbaux. Ils voient ou croient voir, s’enfuient et se taisent. Il existe une connivence tacite, non voulue, mais réelle, entre ceux qui font peur et ceux qui ont peur. Les effrayés se sentent dans leur tort d’avoir été effrayés, ils s’imaginent avoir surpris un secret, ils craignent d’aggraver leur position, mystérieuse pour eux-mêmes, et de fâcher les apparitions. Ceci les rend discrets. Et, même en dehors de ce calcul, l’instinct des gens crédules est le silence ; il y a du mutisme dans l’épouvante ; les terrifiés parlent peu ; il semble que l’horreur dise : chut !

Il faut se souvenir que ceci remonte à l’époque où les paysans guernesiais croyaient que le mystère de la crèche était, tous les ans, à jour fixe, répété par les bœufs et les ânes ; époque où personne, dans la nuit de Noël, n’eût osé pénétrer dans une étable, de peur d’y trouver les bêtes à genoux.

S’il faut ajouter foi aux légendes locales et aux récits des gens qu’on rencontre, la superstition autrefois a quelquefois été jusqu’à suspendre aux murs de cette maison de Plainmont, à des clous dont on voit encore çà et là la trace, des rats sans pattes, des chauves-souris sans ailes, des carcasses de bêtes mortes, des crapauds écrasés entre les pages d’une bible, des brins de lupin jaune, étranges ex-voto,