Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome I (1891).djvu/265

Cette page a été validée par deux contributeurs.
261
LE REVOLVER

La nuit, la lune lugubre entre là.

Toute la mer est autour de cette maison. Sa situation est magnifique, et par conséquent sinistre. La beauté du lieu devient une énigme. Pourquoi aucune famille humaine n’habite-t-elle ce logis ? La place est belle, la maison est bonne. D’où vient cet abandon ? Aux questions de la raison s’ajoutent les questions de la rêverie. Ce champ est cultivable, d’où vient qu’il est inculte ? Pas de maître. La porte murée. Qu’a donc ce lieu ? Pourquoi l’homme en fuite ? Que se passe-t-il ici ? S’il ne s’y passe rien, pourquoi n’y a-t-il personne ? Quand tout est endormi, y a-t-il ici quelqu’un d’éveillé ? La rafale ténébreuse, le vent, les oiseaux de proie, les bêtes cachées, les êtres ignorés, apparaissent à la pensée et se mêlent à cette maison. De quels passants est-elle l’hôtellerie ? On se figure des ténèbres de grêle et de pluie s’engouffrant dans les fenêtres. De vagues ruissellements de tempêtes ont laissé leurs traces sur la muraille intérieure. Ces chambres murées et ouvertes sont visitées par l’ouragan. S’est-il commis un crime là ? Il semble que, la nuit, cette maison livrée à l’ombre doit appeler au secours. Reste-t-elle muette ? En sort-il des voix ? à qui a-t-elle affaire dans cette solitude ? Le mystère des heures noires est à l’aise ici. Cette maison est inquiétante à midi ; qu’est-elle à minuit ? En la regardant, on regarde un secret. On se demande, la rêverie ayant sa logique et le possible ayant sa pente, ce que devient cette maison entre le crépuscule du soir et le crépuscule du matin. L’immense dispersion de la vie extra-humaine a-t-elle sur ce sommet désert un nœud où elle s’arrête et qui la force à devenir visible et à descendre ? L’épars