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centre le pressoir à cidre et le vieux cercle de pierre creuse où roulait la roue à broyer les pommes. Les bestiaux boivent dans des auges pareilles à des sarcophages. Un roi celte a peut-être pourri dans ce coffre de granit ou s’abreuve paisiblement la vache, qui a les yeux de Junon. Les grimpereaux et les hochequeues viennent en familiarité aimable piller le grain des poules.

Le long de la mer tout est fauve. Le vent use l’herbe que le soleil brûle. Quelques églises ont un caparaçon de lierre qui court jusqu’au clocher. Par endroits, dans les bruyères désertes, une excroissance de rocher s’achève en chaumière. Les bateaux tirés à terre, faute de port, sont arc-boutés sur de grosses pierres. Les voiles des barques qu’on voit à l’horizon sont plutôt couleur d’ocre ou jaune saumon que blanches. Du côté de la pluie et de la bise les arbres ont une fourrure de lichen ; les pierres elles-mêmes semblent prendre leurs précautions et ont une peau de mousse drue et dense. Il y a des murmures, des souffles, des froissements de branches, de brusques passages d’oiseaux de mer, quelques-uns avec un poisson d’argent au bec, une abondance de papillons variant de couleur selon la saison, et toutes sortes de profonds tumultes dans les rochers sonores. Des chevaux au vert galopent à travers les jachères. Ils se roulent, bondissent, s’arrêtent, font fête au vent de toute leur crinière, et regardent devant eux dans l’espace des flots qui se suppléent indéfiniment. En mai les vieilles bâtisses rurales et marines se couvrent de giroflées ; en juin, de lilas de muraille.

Dans les dunes, des batteries s’écroulent. La désuétude des canons profite aux paysans ; des filets de pêcheurs sè-