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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

taient que par leurs institutions maritimes ; des synonymies bizarres lui étaient propres. Il désignait volontiers l’Angleterre par Trinity House, l’Écosse par Northern Commissionners, et l’Irlande par Ballast Board. Il abondait en renseignements ; il était alphabet et almanach ; il était étiage et tarif. Il savait par cœur le péage des phares, surtout des anglais ; un penny par tonne en passant devant celui-ci, un farthing devant celui-là. Il vous disait : Le phare de small’s rock, qui ne consommait que deux cents gallons d’huile, en brûle maintenant quinze cents gallons. Un jour, à bord, dans une maladie grave qu’il fit, on le croyait mort, l’équipage entourait son branle, il interrompit les hoquets de l’agonie pour dire au maître charpentier : — Il serait avantageux d’adapter dans l’épaisseur des chouquets une mortaise de chaque côté pour y recevoir un réa en fonte ayant son essieu en fer et pour servir à passer les guinderesses. — De tout cela résultait une figure magistrale.

Il était rare que le sujet de conversation fût le même à la table des patrons et à la table des douaniers. Ce cas pourtant se présenta précisément dans les premiers jours de ce mois de février où nous ont amené les faits que nous racontons. Le trois-mâts Tamaulipas, capitaine Zuela, venant du Chili et y retournant, appela l’attention des deux menses. À la mense des patrons on parla de son chargement, et à la mense des douaniers de ses allures.

Le capitaine Zuela, de Copiapo, était un chilien un peu colombien, qui avait fait avec indépendance les guerres de l’indépendance, tenant tantôt pour Bolivar, tantôt pour Morillo, selon qu’il y trouvait son profit. Il s’était enrichi à