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chevalier Emyr Lhydau, réfugié à l’île de Grob, près de Quimperlé. Il y a, dans ces parages, des coups de théâtre de l’océan desquels il faut se défier. Celui-ci, par exemple, qui est un des caprices les plus fréquents de la rose des vents des Channels Islands : une tempête souffle du sud-est ; le calme arrive, calme complet ; vous respirez ; cela dure parfois une heure ; tout à coup l’ouragan, disparu au sud-est, revient du nord ; il vous prenait en queue, il vous prend en tête ; c’est la tempête inverse, Si vous n’êtes pas un ancien pilote et un vieil habitué, si vous n’avez pas, profitant du calme, pris la précaution de renverser votre manœuvre pendant que le vent se renversait, c’est fini, le navire se disloque et sombre.

Ribeyrolles, qui est allé mourir au Brésil, écrivait à bâtons rompus, dans son séjour à Guernesey, un mémento personnel des faits quotidiens, dont une feuille est sous nos yeux : — « 1er janvier, Étrennes. Une tempête, Un navire arrivant de Portrieux s’est perdu hier sur l’Esplanade. — 2. Trois-mâts perdu à la Rocquaine. Il venait d’Amérique. Sept hommes morts. Vingt et un sauvés. — 3. Le packet n’est pas venu. — 4. La tempête continue. — … — 14. Pluies. Éboulement aux terres qui a tué un homme. — 15. Gros temps. Le Tawn n’a pu partir. — 22. Brusque bourrasque. Cinq sinistres sur la côte ouest. — 24. La tempête persiste. Naufrages de tous côtés. »

Presque jamais de repos dans ce coin de l’océan. De là les cris de mouette jetés à travers les siècles dans cette rafale sans fin par l’antique poète inquiet Lhy-ouar’li-henn, ce Jérémie de la mer.