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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

ton vol, tu rencontreras sans doute le bon abbé Léandre Crameau du Petit-Goâve. Dis-lui que, grâce à dix années d’efforts glorieux, tu as terminé l’église de l’Anse-à-Veau ! Adieu, génie transcendant, maç… modèle ! » Son masque de franc-maçon ne l’empêchait pas, comme on voit, de porter le faux nez catholique. Le premier lui conciliait les hommes de progrès et le second les hommes d’ordre. Il se déclarait blanc pur sang, il haïssait les noirs ; pourtant il eût certainement admiré Soulouque. À Bordeaux, en 1815, il avait été verdet. À cette époque, la fumée de son royalisme lui sortait du front sous la forme d’un immense plumet blanc. Il avait passé sa vie à faire des éclipses, paraissant, disparaissant, reparaissant. C’était un coquin à feu tournant. Il savait du turc ; au lieu de guillotiné il disait néboïssé. Il avait été esclave en Tripoli chez un thaleb, et il y avait appris le turc à coups de bâton ; sa fonction avait été d’aller le soir aux portes des mosquées et d’y lire à haute voix devant les fidèles le koran écrit sur des planchettes de bois ou sur des omoplates de chameau. Il était probablement renégat.

Il était capable de tout, et de pire.

Il éclatait de rire et fronçait le sourcil en même temps. Il disait : En politique, je n’estime que les gens inaccessibles aux influences. Il disait : Je suis pour les mœurs. Il était plutôt gai et cordial qu’autre chose. La forme de sa bouche démentait le sens de ses paroles. Ses narines eussent pu passer pour des naseaux. Il avait au coin de l’œil un carrefour de rides où toutes sortes de pensées obscures se donnaient rendez-vous. Le secret de sa physionomie ne pouvait être déchiffré que là. Sa patte d’oie était