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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

à Cayenne un vespertilio, sachant ce qu’il fait, qui vous endort dans l’ombre avec un doux et ténébreux battement d’ailes ; le vent est cette chauve-souris invisible ; quand il n’est pas ravageur, il est endormeur. On contemplait la mer, on écoutait le vent, on se sentait gagner par l’assoupissement de l’extase. Quand les yeux sont remplis d’un excès de beauté et de lumière, c’est une volupté de les fermer. Tout à coup on se réveillait. Il était trop tard. La marée avait grossi peu à peu. L’eau enveloppait le rocher.

On était perdu.

Redoutable blocus que celui-ci : la mer montante.

La marée croît insensiblement d’abord, puis violemment. Arrivée aux rochers, la colère la prend, elle écume. Nager ne réussit pas toujours dans les brisants. D’excellents nageurs s’étaient noyés à la corne du Bû de la Rue.

En de certains lieux, à de certaines heures, regarder la mer est un poison. C’est comme, quelquefois, regarder une femme.

Les très anciens habitants de Guernesey appelaient jadis cette niche façonnée dans le roc par le flot la chaise Gild-Holm-’Ur, ou Kidormur. Mot celte, dit-on, que ceux qui savent le celte ne comprennent pas et que ceux qui savent le français comprennent. Qui-dort-meurt. Telle est la traduction paysanne.

On est libre de choisir entre cette traduction, Qui-dort-meurt, et la traduction donnée en 1819, je crois, dans l’Armoricain, par M. Athénas. Selon cet honorable celtisant, Gild-Holm-’Ur signifierait Halte-de-troupes-d’oiseaux.

Il existe à Aurigny une autre chaise de ce genre, qu’on nomme la Chaise-au-Moine, si bien confectionnée par le flot,