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Par un côté pourtant l’homme est illimité.
Le monstre a le carcan, l’homme a la liberté.
Songeur, retiens ceci : l’homme est un équilibre.
L’homme est une prison où l’âme reste libre.
L’âme, dans l’homme, agit, fait le bien, fait le mal,
Remonte vers l’esprit, retombe à l’animal ;
Et pour que, dans son vol vers les cieux, rien ne lie
Sa conscience ailée et de Dieu seul remplie,
Dieu, quand une âme éclôt dans l’homme au bien poussé,
Casse en son souvenir le fil du passé ;
De là vient que la nuit en sait plus que l’aurore.
Le monstre se connaît lorsque l’homme s’ignore.
Le monstre est la souffrance, et l’homme est l’action.
L’homme est l’unique point de la création
Où, pour demeurer libre en se faisant meilleure,
L’âme doive oublier sa vie antérieure.
Mystère ! au seuil de tout l’esprit rêve ébloui.


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L’homme ne voit pas Dieu, mais peut aller à lui,
En suivant la clarté du bien, toujours présente ;
Le monstre, arbre, rocher ou bête rugissante,
Voit Dieu, c’est là sa peine, et reste enchaîné loin.

L’homme a l’amour pour aile, et pour joug le besoin.
L’ombre est sur ce qu’il voit par lui-même semée ;
La nuit sort de son œil ainsi qu’une fumée ;
Homme, tu ne sais rien ; tu marches, pâlissant !
Parfois le voile obscur qui te couvre, ô passant,
S’envole et flotte au vent soufflant d’une autre sphère,
Gonfle un moment ses plis jusque dans la lumière,
Puis retombe sur toi, spectre, et redevient noir.
Tes mages, tes penseurs ont essayé de voir ;