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Que fait-elle ? Elle songe à Dieu !Fatalité !
Échéance ! retour ! revers ! autre côté !
Ô loi ! pendant qu’assis à table, joyeux groupes,
Les pervers, les puissants, vidant toutes les coupes,
Oubliant qu’aujourd’hui par demain est guetté,
Étalent leur mâchoire en leur folle gaîté,
Voilà ce qu’en sa nuit muette et colossale,
Montrant comme eux ses dents tout au fond de la salle,
Leur réserve la mort, ce sinistre rieur !

Nous avons, nous, voyants du ciel supérieur,
Le spectacle inouï de vos régions basses.
Ô songeur, fallait-il qu’en ces nuits tu tombasses !
Nous écoutons le cri de l’immense malheur.
Au-dessus d’un rocher, d’un loup ou d’une fleur,
Parfois nous apparaît l’âme à mi-corps sortie,
Pauvre ombre en pleurs qui lutte, hélas ! presque engloutie ;
Le loup la tient, le roc étreint ses pieds qu’il tord,
Et la fleur implacable et féroce la mord.
Nous entendons le bruit du rayon que Dieu lance,
La voix de ce que l’homme appelle le silence,
Et vos soupirs profonds, cailloux désespérés !
Nous voyons la pâleur de tous les fronts murés.
À travers la matière, affreux caveau sans portes,
L’ange est pour nous visible avec ses ailes mortes.
Nous assistons aux deuils, au blasphème, aux regrets,
Aux fureurs ; et, la nuit, nous voyons les forêts,
D’où cherchent à s’enfuir les larves enfermées,
S’écheveler dans l’ombre en lugubres fumées.
Partout, partout, partout ! dans les flots, dans les bois,
Dans l’herbe en fleur, dans l’or qui sert de sceptre aux rois,
Dans le jonc dont Hermès se fait une baguette,
Partout, le châtiment contemple, observe ou guette,