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Eux, ils parlent à ce mystère !
Ils interrogent l’éternel,
Ils appellent le solitaire,
Ils montent, ils frappent au ciel,
Disent : Es-tu là ? dans la tombe,
Volent, pareils à la colombe
Offrant le rameau qu’elle tient,
Et leur voix est grave, humble ou tendre,
Et par moments on croit entendre
Le pas lourd de quelqu’un qui vient.


V


Nous vivons, debout à l’entrée
De la mort, gouffre illimité,
Nus, tremblants, la chair pénétrée
Du frisson de l’énormité ;
Nos morts sont dans cette marée ;
Nous entendons, foule égarée
Dont le vent souffle le flambeau,
Sans voir de voiles ni de rames,
Le bruit que font ces vagues d’âmes
Sous la falaise du tombeau.

Nous regardons la noire écume,
L’aspect hideux, le fond bruni ;
Nous regardons la nuit, la brume,
L’onde du sépulcre infini ;
Comme un oiseau de mer effleure
La haute rive où gronde et pleure
L’océan plein de Jéhovah,
De temps en temps, blanc et sublime,
Par-dessus le mur de l’abîme
Un ange paraît et s’en va.