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Il flotte submergé comme la nef qui sombre.
Le jour le voit à peine et dit : Quelle est cette ombre ?
Et la nuit dit : Quel est ce mort ?

Sois la bienvenue, ombre ! ô ma sœur ! ô figure
Qui me fais signe alors que sur l’énigme obscure
Je me penche, sinistre et seul ;
Et qui viens, m’effrayant de ta lueur sublime,
Essuyer sur mon front la sueur de l’abîme
Avec un pan de ton linceul !


II


Oh ! que le gouffre est noir et que l’œil est débile !
Nous avons devant nous le silence immobile.
Qui sommes-nous ? où sommes-nous ?
Faut-il jouir ? faut-il pleurer ? Ceux qu’on rencontre
Passent. Quelle est la loi ? La prière nous montre
L’écorchure de ses genoux.

D’où viens-tu ? Je ne sais. Où vas-tu ? Je l’ignore.
L’homme ainsi parle à l’homme et l’onde au flot sonore.
Tout va, tout vient, tout ment, tout fuit.
Parfois nous devenons pâles, hommes et femmes,
Comme si nous sentions se fermer sur nos âmes
La main de la géante nuit.

Nous voyons fuir la flèche et l’ombre est sur la cible.
L’homme est lancé. Par qui ? vers qui ? Dans l’invisible.
L’arc ténébreux siffle dans l’air.
En voyant ceux qu’on aime en nos bras se dissoudre,
Nous demandons si c’est pour la mort, coup de foudre,
Qu’est faite, hélas, la vie éclair !