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Il dit : Non ! à celui sous qui tremble le pôle.
Soudain l’ange muet met la main sur l’épaule
Du railleur effronté ;
La mort derrière lui surgit pendant qu’il chante ;
Dieu remplit tout à coup cette bouche crachante
Avec l’éternité.


XV


Qu’est-ce que tu feras de tant d’herbes fauchées,
Ô vent ? que feras-tu des pailles desséchées
Et de l’arbre abattu ?
Que feras-tu de ceux qui s’en vont avant l’heure,
Et de celui qui rit et de celui qui pleure,
Ô vent, qu’en feras-tu ?

Que feras-tu des cœurs ? que feras-tu des âmes ?
Nous aimâmes, hélas ! nous crûmes, nous pensâmes ;
Un moment nous brillons ;
Puis, sur les panthéons ou sur les ossuaires,
Nous frissonnons, ceux-ci drapeaux, ceux-là suaires,
Tous, lambeaux et haillons !

Et ton souffle nous tient, nous arrache et nous ronge !
Et nous étions la vie, et nous sommes le songe !
Et voilà que tout fuit !
Et nous ne savons plus qui nous pousse et nous mène,
Et nous questionnons en vain notre âme pleine
De tonnerre et de nuit !

Ô vent, que feras-tu de ces tourbillons d’êtres,
Hommes, femmes, vieillards, enfants, esclaves, maîtres,
Souffrant, priant, aimant,
Doutant, peut-être cendre et peut-être semence,
Qui roulent, frémissants et pâles, vers l’immense
Évanouissement !