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Sans air, sans mouvement, sans jour, sans yeux, sans bouche,
Entre l’herbe sinistre et le cercueil farouche,
Vivraient affreusement ?

Est-ce que ce seraient des âmes condamnées,
Des maudits qui, pendant des millions d’années,
Seuls avec le remords,
Au lieu de voir, des yeux de l’astre solitaire,
Sortir les rayons d’or, verraient les vers de terre
Sortir des yeux des morts ?

Homme et roche, exister, noir dans l’ombre vivante !
Songer, pétrifié dans sa propre épouvante !
Rêver l’éternité !
Dévorer ses fureurs, confusément rugies !
Être pris, ouragan de crimes et d’orgies,
Dans l’immobilité !

Punition ! problème obscur ! questions sombres !
Quoi ! ce caillou dirait : — J’ai mis Thèbe en décombres !
J’ai vu Suze à genoux !
J’étais Bélus à Tyr ! J’étais Sylla dans Rome ! —
Noire captivité des vieux démons de l’homme !
Ô pierres, qu’êtes-vous ?

Qu’a fait ce bloc, béant dans la fosse insalubre ?
Glacé du froid profond de la terre lugubre,
Informe et châtié,
Aveugle, même aux feux que la nuit réverbère,
Il pense et se souvient… — Quoi ! ce n’est que Tibère !
Seigneur, ayez pitié !

Ce dur silex noyé dans la terre, âpre, fruste,
Couvert d’ombre, pendant que le ciel s’ouvre au juste
Qui s’y réfugia,