Page:Hugo - Les Contemplations, Nelson, 1856.djvu/360

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et, monstres qu’entrevoit l’homme en ses léthargies,
Après avoir sur terre été les effigies
Du mal mystérieux,

Après avoir peuplé les prisons élargies,
Et versé tant de meurtre aux vastes mers rougies,
Tant de morts, glaive au flanc,
Tant d’ombre, et de carnage, et d’horreurs inconnues,
Que le soleil, le soir, hésitait dans les nues
Devant ce bain sanglant,

Après avoir mordu le troupeau que Dieu mène,
Et tourné tour à tour de la torture humaine
L’atroce cabestan,
Et régné sous la pourpre et sous le laticlave,
Et plié six mille ans Adam, le vieil esclave,
Sous le vieux roi Satan,

Est-ce que le chasseur Nemrod, Sforce le pâtre,
Est-ce que Messaline, est-ce que Cléopâtre,
Caligula, Macrin,
Et les Achabs, par qui renaissaient les Sodomes,
Et Phalaris, qui fit du hurlement des hommes
La clameur de l’airain,

Est-ce que Charles neuf, Constantin, Louis onze,
Vitellius, la fange, et Busiris, le bronze,
Les Cyrus dévorants,
Les Égisthes montrés du doigt par les Électres,
Seraient, dans cette nuit, d’hommes devenus spectres,
Et pierres de tyrans ?

Est-ce que ces cailloux, tout pénétrés de crimes,
Dans l’horreur étouffés, scellés dans les abîmes,
Enviant l’ossement,