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En tombant sur nos fronts, la minute nous tue.
Nous passons, noir essaim, foule de deuil vêtue,
Comme le bruit d’un char.

Nous montons à l’assaut du temps comme une armée.
Sur nos groupes confus que voile la fumée
Des jours évanouis,
L’énorme éternité luit, splendide et stagnante ;
Le cadran, bouclier de l’heure rayonnante,
Nous terrasse éblouis !


IV


À l’instant où l’on dit : Vivons ! tout se déchire.
Les pleurs subitement descendent sur le rire.
Tête nue ! à genoux !
Tes fils sont morts, mon père est mort, leur mère est morte.
Ô deuil ! qui passe là ? C’est un cercueil qu’on porte.
À qui le portez-vous ?

Ils le portent à l’ombre, au silence, à la terre ;
Ils le portent au calme obscur, à l’aube austère,
À la brume sans bords,
Au mystère qui tord ses anneaux sous des voiles,
Au serpent inconnu qui lèche les étoiles
Et qui baise les morts !


V


Ils le portent aux vers, au néant, à Peut-Être !
Car la plupart d’entre eux n’ont point vu le jour naître ;
Sceptiques et bornés,
La négation monte et la matière hostile,
Flambeaux d’aveuglement, troublent l’âme inutile
De ces infortunés.