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Caton au manteau blanc, et Dante au fier sourcil,
L’un ayant le poignard au flanc, l’autre l’exil ;
Caton était joyeux et Dante était tranquille.
J’ai vu Jeanne au poteau qu’on brûlait dans la ville,
Et j’ai dit : Jeanne d’Arc, ton noir bûcher fumant
A moins de flamboiement que de rayonnement.
J’ai vu Campanella songer dans la torture,
Et faire à sa pensée une âpre nourriture
Des chevalets, des crocs, des pinces, des réchauds,
Et de l’horreur qui flotte au plafond des cachots.
J’ai vu Thomas Morus, Lavoisier, Loiserolle,
Jane Grey, bouche ouverte ainsi qu’une corolle,
Toi, Charlotte Corday, vous, madame Roland,
Camille Desmoulins, saignant et contemplant,
Robespierre à l’œil froid, Danton aux cris superbes ;
J’ai vu Jean qui parlait au désert, Malesherbes,
Egmont, André Chénier, rêveur des purs sommets,
Et mes yeux resteront éblouis à jamais
Du sourire serein de ces têtes coupées.
Coligny, sous l’éclair farouche des épées,
Resplendissait devant mon regard éperdu.
Livide et radieux, Socrate m’a tendu
Sa coupe en me disant : As-tu soif ? bois la vie.
Huss, me voyant pleurer, m’a dit : Est-ce d’envie ?
Et Thraséas, s’ouvrant les veines dans son bain,
Chantait : — Rome est le fruit du vieux rameau sabin ;
Le soleil est le fruit de ces branches funèbres
Que la nuit sur nous croise et qu’on nomme ténèbres,
Et la joie est le fruit du grand arbre douleur. —
Colomb, l’envahisseur des vagues, l’oiseleur
Du sombre aigle Amérique, et l’homme que Dieu mène,
Celui qui donne un monde et reçoit une chaîne,
Colomb aux fers criait : Tout est bien. En avant !
Saint-Just sanglant m’a dit : Je suis libre et vivant.
Phocion m’a jeté, mourant, cette parole :
— Je crois, et je rends grâce aux Dieux ! — Savonarole.