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VIII

À JULES J.[1]

Je dormais en effet, et tu me réveillas.
Je te criai : Salut ! et tu me dis : Hélas !
Et cet instant fut doux, et nous nous embrassâmes ;
Nous mêlâmes tes pleurs, mon sourire et nos âmes.

Ces temps sont déjà loin ; où donc alors roulait
Ma vie ? et ce destin sévère qui me plaît,
Qu’est-ce donc qu’il faisait de cette feuille morte
Que je suis, et qu’un vent pousse, et qu’un vent remporte ?
J’habitais au milieu des hauts pignons flamands ;
Tout le jour, dans l’azur, sur les vieux toits fumants,
Je regardais voler les grands nuages ivres ;
Tandis que je songeais, le coude sur mes livres,
De moments en moments, ce noir passant ailé,
Le temps, ce sourd tonnerre à nos rumeurs mêlé,
D’où les heures s’en vont en sombres étincelles,
Ébranlait sur mon front le beffroi de Bruxelles.
Tout ce qui peut tenter un cœur ambitieux
Était là, devant moi, sur terre et dans les cieux ;
Sous mes yeux, dans l’austère et gigantesque place,
J’avais les quatre points cardinaux de l’espace,
Qui font songer à l’aigle, à l’astre, au flot, au mont,
Et les quatre pavés de l’échafaud d’Egmont.

Aujourd’hui, dans une île, en butte aux eaux sans nombre,
Où l’on ne me voit plus, tant j’y suis couvert d’ombre,

  1. Voir Histoire de la littérature dramatique, t. IV, p. 413 et 414.