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XXII

La clarté du dehors ne distrait pas mon âme.
La plaine chante et rit comme une jeune femme ;
Le nid palpite dans les houx ;
Partout la gaîté luit dans les bouches ouvertes ;
Mai, couché dans la mousse au fond des grottes vertes,
Fait aux amoureux les yeux doux.

Dans les champs de luzerne et dans les champs de fèves,
Les vagues papillons errent, pareils aux rêves ;
Le blé vert sort des sillons bruns ;
Et les abeilles d’or courent à la pervenche,
Au thym, au liseron, qui tend son urne blanche
À ces buveuses de parfums.

La nue étale au ciel ses pourpres et ses cuivres ;
Les arbres, tout gonflés de printemps, semblent ivres ;
Les branches, dans leurs doux ébats,
Se jettent les oiseaux du bout de leurs raquettes ;
Le bourdon galonné fait aux roses coquettes
Des propositions tout bas.

Moi, je laisse voler les senteurs et les baumes,
Je laisse chuchoter les fleurs, ces doux fantômes,
Et l’aube dire : Vous vivrez !
Je regarde en moi-même, et, seul, oubliant l’heure,
L’œil plein des visions de l’ombre intérieure,
Je songe aux morts, ces délivrés.