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Et connu des vivants à qui Danton parlait,
Ces hommes ont sucé l’audace avec le lait.
La Révolution, leur tendant sa mamelle,
Leur fit boire une vie où la tombe se mêle,
Et, stoïque, leur mit dans les veines un sang
Qui, lorsqu’il faut sortir et couler, y consent.
Ils tiennent de l’austère et tragique nourrice
L’amour de la blessure et de la cicatrice,
Et, pour trembler, pour fuir, pour suivre qui fuirait,
L’impossibilité de plier le jarret.
Ils pensent que faiblir est chose abominable,
Que l’homme est au devoir, et qu’il est convenable
Que ceux à qui Dieu fit l’honneur de les choisir
Pour vivre dans un temps de risque et de désir,
Marchent, et, courant droit au but qui les réclame,
Désapprennent les pas en arrière à leur âme.
Ils veulent le progrès durement acheté,
Ne tiennent en réserve aucune lâcheté,
Jettent aux profondeurs leurs jours, leur cœur, leur joie,
Ne se rétractent point parce qu’un gouffre aboie,
Vont toujours en avant et toujours devant eux ;
Ils ne sont pas prudents de peur d’être honteux ;
Et disent que le pont où l’on se précipite,
Hardi pour l’abordage, est lâche pour la fuite.
Soi-même se scruter d’un regard inclément,
Être abnégation, martyre, dévouement,
Bouclier pour le faible et pour le destin cible,
Aller, ne se garder aucun retour possible,