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Je donne mon avis, sire, timidement ;
Je suis d’Église, et n’ai que l’humble entendement
D’un pauvre clerc, mieux fait pour chanter des cantiques
Que pour parler devant de si grands politiques ;
Mais, beau sire, on ne peut voir que son horizon,
Et raisonner qu’avec ce qu’on a de raison ;
Je suis prêtre, et la messe est ma seule lecture ;
Je suis très-ignorant ; chacun a sa monture
Qu’il monte avec audace ou bien avec effroi ;
Il faut pour l’empereur le puissant palefroi
Bardé de fer, nourri d’orge blanche et d’épeautre,
Le dragon pour l’archange et l’âne pour l’apôtre.
Je poursuis, et je dis qu’il est bon que le droit
Soit, pour le roi, très-large, et, pour le peuple, étroit ;
Le peuple étant bétail et le roi, berger. Sire,
L’empereur ne veut rien sans que Dieu le désire.
Donc, faites ! Vous pouvez, sans avertissements,
Guerroyer les chrétiens comme les ottomans ;
Les ottomans étant hors de la loi vulgaire,
On peut les attaquer sans déclarer la guerre ;
C’est si juste et si vrai, que, pour premiers effets,
Vos flottes, sire, ont pris dix galères de Fez ;
Quant aux chrétiens, du jour qu’ils sont vos adversaires,
Ils sont de fait païens, sire, et de droit corsaires.
Il serait malheureux qu’un scrupule arrêtât
Sa majesté, quand c’est pour le bien de l’État.
Chaque affaire a sa loi ; chaque chose a son heure.
La fille du marquis de Final est mineure ;