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L’aigle des Alpes, roi du pic et du hallier,
Dresse la tête au bruit de ce pas régulier,
Et crie, et jusqu’au ciel sa voix hautaine monte :

Ô chute ! ignominie ! inexprimable honte !
Ces marcheurs alignés, ces êtres qui vont là
En pompe impériale, en housse de gala,
Ce sont de libres fils de ma libre montagne !
Ah ! les bassets en laisse et les forçats au bagne
Sont grands, sont purs, sont fiers, sont beaux et glorieux
Près de ceux-ci, qui, nés dans les lieux sérieux
Où comme des roseaux les hauts mélèzes ploient,
Fils des rochers sacrés et terribles, emploient
La fermeté du pied dans les cols périlleux,
Le mystérieux sang des mères aux yeux bleus,
L’audace dont l’autan nous emplit les narines,
Le divin gonflement de l’air dans les poitrines,
La grâce des ravins couronnés de bouquets,
Et la force des monts, à se faire laquais !
La contrée affranchie et joyeuse, matrice
De l’idée indomptable, âpre et libératrice,
La patrie au flanc rude, aux bons pics arrogants,
Qui portait les héros mêlés aux ouragans,
Douce, délivrant l’homme et délivrant la bête,
Sauvage, ayant le bruit des chutes d’eau pour fête