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LA LÉGENDE DES SIÈCLES.

Tout en marchant ainsi, plein d’une grave idée,
Par-dessus le désert, l’Égypte et la Judée,
À Pathmos, au penchant d’un mont, chauve sommet,
Il vit Jean qui, couché sur le sable, dormait.

Car saint Jean n’est pas mort, l’effrayant solitaire ;
Dieu le tient en réserve ; il reste sur la terre
Ainsi qu’Énoch le Juste, et, comme il est écrit,
Ainsi qu’Élie, afin de vaincre l’Antéchrist.

Jean dormait ; ces regards étaient fermés qui virent
Les océans du songe où les astres chavirent ;
L’obscur sommeil couvrait cet œil illuminé,
Le seul chez les vivants auquel il fut donné
De regarder, par l’âpre ouverture du gouffre,
Les anges noirs vêtus de cuirasses de soufre,
Et de voir les Babels pencher, et les Sions
Tomber, et s’écrouler les blêmes visions,
Et les religions rire prostituées,
Et des noms de blasphème errer dans les nuées.

Jean dormait, et sa tête était nue au soleil.

Omer, le puissant prêtre, aux prophètes pareil,