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AU LION D’ANDROCLÈS.

Pendant que l’ours grondait, et que les éléphants,
Effroyables, marchaient sur les petits enfants,
La vestale songeait dans sa chaise de marbre.
Par moments, le trépas, comme le fruit d’un arbre,
Tombait du front pensif de la pâle beauté ;
Le même éclair de meurtre et de férocité
Passait de l’œil du tigre au regard de la vierge.
Le monde était le bois, l’empire était l’auberge.
De noirs passants trouvaient le trône en leur chemin,
Entraient, donnaient un coup de dent au genre humain,
Puis s’en allaient. Néron venait après Tibère.
César foulait aux pieds le Hun, le Goth, l’Ibère ;
Et l’empereur, pareil aux fleurs qui durent peu,
Le soir était charogne à moins qu’il ne fût dieu.
Le porc Vitellius roulait aux gémonies.
Escalier des grandeurs et des ignominies,
Bagne effrayant des morts, pilori des néants,
Saignant, fumant, infect, ce charnier de géants
Semblait fait pour pourrir le squelette du monde.
Des torturés râlaient sur cette rampe immonde,
Juifs sans langue, poltrons sans poings, larrons sans yeux ;
Ainsi que dans le cirque atroce et furieux
L’agonie était là, hurlant sur chaque marche.
Le noir gouffre cloaque au fond ouvrait son arche
Où croulait Rome entière ; et, dans l’immense égout,
Quand le ciel juste avait foudroyé coup sur coup,
Parfois deux empereurs, chiffres du fatal nombre,
Se rencontraient, vivants encore, et, dans cette ombre,