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SULTAN MOURAD.

Une aube s’y levait, prodigieuse et douce ;
Et sa prunelle éteinte eut l’étrange secousse
D’une porte de jour qui s’ouvre dans la nuit ;
Il aperçut l’échelle immense qui conduit
Les actions de l’homme à l’œil qui voit les âmes ;
Et les clartés étaient des roses et des flammes ;
Et Mourad entendit une voix qui disait :

« Mourad, neveu d’Achmet et fils de Bajazet,
Tu semblais à jamais perdu ; ton âme infime
N’était plus qu’un ulcère et ton destin qu’un crime ;
Tu sombrais parmi ceux que le mal submergea ;
Déjà Satan était visible en toi ; déjà,
Sans t’en douter, promis aux tourbillons funèbres
Des spectres sous la voûte infâme des ténèbres,
Tu portais sur ton dos les ailes de la nuit ;
De ton pas sépulcral l’enfer guettait le bruit ;
Autour de toi montait, par ton crime attirée,
L’obscurité du gouffre ainsi qu’une marée ;
Tu penchais sur l’abîme où l’homme est châtié ;
Mais tu viens d’avoir, monstre, un éclair de pitié ;
Une lueur suprême et désintéressée
A, comme à ton insu, traversé ta pensée,
Et je t’ai fait mourir dans ton bon mouvement ;
Il suffit, pour sauver même l’homme inclément,
Même le plus sanglant des bourreaux et des maîtres,
Du moindre des bienfaits sur le dernier des êtres ;