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LA LÉGENDE DES SIÈCLES.

Comme s’ils accouraient à l’appel du soleil,
Cent moustiques suçaient la plaie au bord vermeil ;
Comme autour de leur nid voltigent les colombes,
Ils allaient et venaient, parasites des tombes,
Les pattes dans le sang, l’aile dans le rayon ;
Car la mort, l’agonie et la corruption,
Sont ici-bas le seul mystérieux désastre
Où la mouche travaille en même temps que l’astre ;
Le porc ne pouvait faire un mouvement, livré
Au féroce soleil, des mouches dévoré ;
On voyait tressaillir l’effroyable coupure ;
Tous les passants fuyaient loin de la bête impure ;
Qui donc eût eu pitié de ce malheur hideux ?
Le porc et le sultan étaient seuls tous les deux ;
L’un torturé, mourant, maudit, infect, immonde ;
L’autre empereur, puissant, vainqueur, maître du monde,
Triomphant aussi haut que l’homme peut monter,
Comme si le destin eût voulu confronter
Les deux extrémités sinistres des ténèbres.
Le porc, dont un frisson agitait les vertèbres,
Râlait, triste, épuisé, morne ; et le padischah
De cet être difforme et sanglant s’approcha,
Comme on s’arrête au bord d’un gouffre qui se creuse ;
Mourad pencha son front vers la bête lépreuse,
Puis la poussa du pied dans l’ombre du chemin,
Et de ce même geste énorme et surhumain
Dont il chassait les rois, Mourad chassa les mouches.
Le porc mourant rouvrit ses paupières farouches,