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LA LÉGENDE DES SIÈCLES.

Vous ne voyez plus clair dans vos propres chemins,
Et vos doigts ne sont plus assez des doigts humains
Pour qu’ils puissent tâter vos actions funèbres ;
À quoi bon présenter le miroir aux ténèbres ?
À quoi bon vous parler de ce que vous faisiez ?
Boire de l’ombre, étant de nuit rassasiés,
C’est ce que vous avez l’habitude de faire,
Rois, au point de ne plus sentir dans votre verre
L’odeur des attentats et le goût des forfaits.
Je vous dis seulement que ce vil portefaix,
Votre siècle, commence à trouver vos altesses
Lourdes d’iniquités et de scélératesses ;
Il est las, c’est pourquoi je vous jette au monceau
D’ordures que des ans emporte le ruisseau !
Ces jeunes gens penchés sur cette jeune fille,
J’ai vu cela ! Dieu bon, sont-ils de la famille
Des vivants, respirant sous ton clair horizon ?
Sont-ce des hommes ? Non. Rien qu’à voir la façon
Dont votre lèvre touche aux vierges endormies,
Princes, on sent en vous des goules, des lamies,
D’affreux êtres sortis des cercueils soulevés.
Je vous rends à la nuit. Tout ce que vous avez
De la face de l’homme est un mensonge infâme ;
Vous avez quelque bête effroyable au lieu d’âme ;
Sigismond l’assassin, Ladislas le forban,
Vous êtes des damnés en rupture de ban ;
Donc lâchez les vivants et lâchez les empires !
Hors du trône, tyrans ! à la tombe, vampires !