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ÉVIRADNUS.

Inégaux, face à face, et pareils, côte à côte.
En dehors des deux rangs, en avant, tête haute,
Comme pour commander le funèbre escadron
Qu’éveillera le bruit du suprême clairon,
Les vieux sculpteurs ont mis un cavalier de pierre,
Charlemagne, ce roi qui de toute la terre
Fit une table ronde à douze chevaliers.

Les cimiers surprenants, tragiques, singuliers,
Cauchemars entrevus dans le sommeil sans bornes,
Sirènes aux seins nus, mélusines, licornes,
Farouches bois de cerfs, aspics, alérions,
Sur la rigidité des pâles morions,
Semblent une forêt de monstres qui végète ;
L’un penche en avant, l’autre en arrière se jette ;
Tous ces êtres, dragons, cerbères orageux,
Que le bronze et le rêve ont créés dans leurs jeux,
Lions volants, serpents ailés, guivres palmées,
Faits pour l’effarement des livides armées,
Espèces de démons composés de terreur,
Qui, sur le heaume altier des barons en fureur,
Hurlaient, accompagnant la bannière géante,
Sur les cimiers glacés songent, gueule béante,
Comme s’ils s’ennuyaient, trouvant les siècles longs ;
Et, regrettant les morts saignant sous les talons,
Les trompettes, la poudre immense, la bataille,
Le carnage, on dirait que l’Épouvante bâille.