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ÉVIRADNUS.

Le polonais, ayant le rivage baltique,
Veut des ports ; il a pris toute la mer celtique ;
Sur tous les flots du nord il pousse ses dromons ;
L’Islande voit passer ses navires démons ;
L’allemand brûle Anvers et conquiert les deux Prusses,
Le polonais secourt Spotocus, duc des Russes,
Comme un plus grand boucher en aide un plus petit ;
Le roi prend, l’empereur pille, usurpe, investit ;
L’empereur fait la guerre à l’ordre teutonique,
Le roi sur le Jutland pose son pied cynique ;
Mais, qu’ils brisent le faible ou qu’ils trompent le fort,
Quoi qu’ils fassent, ils ont pour loi d’être d’accord ;
Des geysers du pôle aux cités transalpines,
Leurs ongles monstrueux, crispés sur des rapines,
Égratignent le pâle et triste continent.
Et tout leur réussit. Chacun d’eux, rayonnant,
Mène à fin tous ses plans lâches ou téméraires,
Et règne ; et, sous Satan paternel, ils sont frères ;
Ils s’aiment ; l’un est fourbe et l’autre est déloyal ;
Ils sont les deux bandits du grand chemin royal.
Ô les noirs conquérants ! et quelle œuvre éphémère !
L’ambition, branlant ses têtes de chimère,
Sous leur crâne brumeux, fétide et sans clarté,
Nourrit la pourriture et la stérilité ;
Ce qu’ils font est néant et cendre ; une hydre allaite,
Dans leur âme nocturne et profonde, un squelette.
Le polonais sournois, l’allemand hasardeux,
Remarquent qu’à cette heure une femme est près d’eux ;