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LE PETIT ROI DE GALICE.

Tant de haines autour du maître sont groupées
Qu’il faut que le seigneur ait la barbe au menton ;
Donc, nous avons ôté du trône l’avorton,
Et nous l’allons offrir au bon Dieu. Sur mon âme,
Cela vous a la peau plus blanche qu’une femme !
Mes frères, n’est-ce pas ? C’est mou, c’est grelottant ;
On ignore s’il voit, on ne sait s’il entend ;
Un roi, ça ! rien qu’à voir ce petit, on s’ennuie.
Moi, du moins, j’ai dans l’œil des flammes, et la pluie,
Le soleil et le vent, ces farouches tanneurs,
M’ont fait le cuir robuste et ferme, messeigneurs !
Ah ! pardieu, s’il est beau d’être prince, c’est rude :
Avoir du combattant l’éternelle attitude,
Vivre casqué, suer l’été, geler l’hiver,
Être le ver affreux d’une larve de fer,
Coucher dans le harnais, boire à la calebasse,
Le soir être si las qu’on va la tête basse,
Se tordre un linge aux pieds, les souliers vous manquant,
Guerroyer tout le jour, la nuit garder le camp,
Marcher à jeun, marcher vaincu, marcher malade,
Sentir suinter le sang par quelque estafilade,
Manger des oignons crus et dormir par hasard,
Voilà. Vissez-moi donc le heaume et le brassard
Sur ce fœtus, à qui bientôt on verra croître
Par derrière une mitre et par devant un goître !
À la bonne heure, moi ! je suis le compagnon
Des coups d’épée, et j’ai la Colère pour nom,
Et les poils de mon bras font peur aux bêtes fauves.