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LA LÉGENDE DES SIÈCLES.

Aveugle, ouvre son flanc, plein d’une pâle brume
Où l’Ybaïchalval, épouvantable, écume.
De vrais brigands n’auraient pas mieux trouvé l’endroit.
Le col de la vallée est tortueux, étroit,
Rude, et si hérissé de broussaille et d’ortie,
Qu’un seul homme en pourrait défendre la sortie.

De quoi sont-ils joyeux ? D’un exploit. Cette nuit,
Se glissant dans la ville avec leurs gens, sans bruit,
Avant l’heure où commence à poindre l’aube grise,
Ils ont dans Compostelle enlevé par surprise
Le pauvre petit roi de Galice, Nuño.
Les loups sont là, pesant dans leur griffe l’agneau.
En cercle près du puits, dans le champ d’herbe verte,
Cette collection de monstres se concerte.

Le jeune roi captif a quinze ans ; ses voleurs
Sont ses oncles ; de là son effroi ; pas de pleurs ;
Il se tait ; il comprend le but qui les rassemble ;
Il bâille, et par moments ferme les yeux, et tremble.
Son front triste est meurtri d’un coup de gantelet.
En partant, on l’avait lié sur un mulet ;
Grave et sombre, il a dit : « Cette corde me blesse. »
On l’a fait délier, dédaignant sa faiblesse.
Mais ses oncles hagards fixent leurs yeux sur lui.
L’orphelin sent le vide horrible et sans appui.