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LA LÉGENDE DES SIÈCLES.

Et vont, tout effrayés de nos immenses tâches,
De ceux-là qui sont morts à ceux-ci qui sont lâches !
Je ne sais point comment on porte des affronts !
Je les jette à mes pieds, je n’en veux pas ! — Barons,
Vous qui m’avez suivi jusqu’à cette montagne,
Normands, Lorrains, marquis des marches d’Allemagne,
Poitevins, Bourguignons, gens du pays Pisan,
Bretons, Picards, Flamands, Français, allez-vous-en !
Guerriers, allez-vous-en d’auprès de ma personne,
Des camps où l’on entend mon noir clairon qui sonne,
Rentrez dans vos logis, allez-vous-en chez vous,
Allez-vous-en d’ici, car je vous chasse tous !
Je ne veux plus de vous ! Retournez chez vos femmes !
Allez vivre cachés, prudents, contents, infâmes !
C’est ainsi qu’on arrive à l’âge d’un aïeul.
Pour moi, j’assiégerai Narbonne à moi tout seul.
Je reste ici, rempli de joie et d’espérance !
Et, quand vous serez tous dans notre douce France,
Ô vainqueurs des Saxons et des Aragonais !
Quand vous vous chaufferez les pieds à vos chenets,
Tournant le dos aux jours de guerres et d’alarmes,
Si l’on vous dit, songeant à tous vos grands faits d’armes
Qui remplirent longtemps la terre de terreur :
« Mais où donc avez-vous quitté votre empereur ? »
Vous répondrez, baissant les yeux vers la muraille :
« Nous nous sommes enfuis le jour d’une bataille,
» Si vite et si tremblants et d’un pas si pressé
» Que nous ne savons plus où nous l’avons laissé ! »