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Dit : « — Je suis âme, et l’âme est un œil sans paupière.
« Le monde a commencé par être horrible. Avant
« Que le front se dressât plein de l’esprit vivant,
« Avant que, dominant l’animal et la plante,
« La pensée habitât la prunelle parlante,
« Et qu’Adam, par la main tenant Eve, apparût,
« L’ébauche fourmillait dans la nature en rut,
« Le poulpe aux bras touffus, la torpille étoilée,
« D’immenses vers volants, dont l’aile était onglée,
« De hauts mammons velus, nés dans les noirs limons,
« Troublaient l’onde, ou levaient leurs trompes sur les monts.
« Sous l’enchevêtrement des forêts inondées
« Glissaient des mille-pieds, long de cinq cent coudées,
« Et de grands vibrions, des volvoces géants
« Se tordaient à travers les glauques océans.
« L’être était effrayant. La vie était difforme.
« Partout rampait l’impur, l’affreux, l’obscur, l’énorme.
« La vermine habitait le globe chevelu.
« Et l’homme était absent ; Dieu n’ayant pas voulu
« Donner ce noir spectacle à voir à l’âme humaine.
« Satan, dans ce lugubre et féroce domaine,
« Passait, comme un chasseur qui souffle dans son cor ;
« Mais, avant ce temps-là, c’était plus sombre encor.
« Tout l’univers n’était qu’une morne fumée.
« Ainsi que des oiseaux dans une main fermée,
« L’horreur tenait captifs le germe et l’élément.
« Un tout, qui n’était rien, vivait confusément.
« Des apparitions flottaient sur l’insondable.
«