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Le flot avait joué d’eux, maintenant c’était le tour du vent. Ils s’étaient dégagés eux-mêmes des Casquets ; mais devant Ortach la houle avait fait la péripétie ; devant Aurigny, ce fut la bise. Il y avait eu subitement une saute du septentrion au midi.

Le suroit avait succédé au noroit.

Le courant, c’est le vent dans l’eau ; le vent, c’est le courant dans l’air ; ces deux forces venaient de se contrarier, et le vent avait eu le caprice de retirer sa proie au courant.

Les brusqueries de l’océan sont obscures. Elles sont le perpétuel peut-être. Quand on est à leur merci, on ne peut ni espérer, ni désespérer. Elles font, puis défont. L’océan s’amuse. Toutes les nuances de la férocité fauve sont dans cette vaste et sournoise mer, que Jean Bart appelait « la grosse bête ». C’est le coup de griffe avec les intervalles voulus de patte de velours. Quelquefois la tempête bâcle le naufrage ; quelquefois elle le travaille avec soin ; on pourrait presque dire elle le caresse. La mer a le temps. Les agonisants s’en aperçoivent.

Parfois, disons-le, ces ralentissements dans le