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désespéré qui ne veuille naufrager à ciel ouvert. Si près de la mort, il semble qu’un plafond au-dessus de soi est un commencement de cercueil.

La vague, de plus en plus gonflée, devenait courte. La turgescence du flot indique un étranglement ; dans le brouillard, de certains bourrelets de l’eau signalent un détroit. En effet, à leur insu, ils côtoyaient Aurigny. Entre Ortach et les Casquets au couchant et Aurigny au levant, la mer est resserrée et gênée, et l’état de malaise pour la mer détermine localement l’état de tempête. La mer souffre comme autre chose ; et là où elle souffre, elle s’irrite. Cette passe est redoutée.

La Matutina était dans cette passe.

Qu’on s’imagine sous l’eau une écaille de tortue grande comme Hyde-Park ou les Champs-Élysées, et dont chaque strie est un bas-fond et dont chaque bossage est un récif. Telle est l’approche ouest d’Aurigny. La mer recouvre et cache cet appareil de naufrage. Sur cette carapace de brisants sous-marins, la vague déchiquetée saute et écume. Dans le calme, clapotement ; dans l’orage, chaos.